Teintuer , performance 2018, Bamako, Ouagadougou
En 2019, les êtres humains ont acheté 85 milliards habits. Pour la plupart, il s’agissait de pièces nées de la fast fashion : ce système qui nous encourage à acheter toujours plus et moins cher, via des chaines de magasins proposant chaque semaine de nouvelles lignes de jeans, de T-shirts, de blousons.Chaussures, Mango, Morgan, Uniqlo, C&A, Muji, Zara, Beneton : nous sommes envahis par la fast fashion. A travers le monde, une personne sur six travaille pour l’industrie de la mode. La plupart gagne entre 1 et 3 dollars par jour. Les étiquettes apposées aux étoffes qu’ils tissent, qu’ils coupent, qu’ils cousent coûtent souvent plus cher que les habits eux-mêmes. La marque vaut plus que l’objet. Et l’objet infiniment plus que l’ouvrier. A elle, à lui (mais c’est surtout de femmes qu’il s’agit), sont imposés non seulement des salaires, mais aussi des cadences insoutenables. Ourler, surpiquer, repasser, boutonner : tout est chronométré. Dans ces conditions, pas de pauses – pour quoi que ce soit.
Nous nous souvenons tous de la catastrophe du Rana Plaza, en 2014 : 1134 ouvriers sont morts ensevelis sous les décombres d’une usine textile qui fabriquait des habits pour Beneton, le Bon Marché, Mango et d’autres. Mais cela, cette catastrophe, c’est celle dont nous avons entendu parler, celle qui nous a émus. Nous nous émouvons moins – ou peu ou pas du tout – d’autres catastrophes, moins médiatiques et pourtant journalières. De corps abimés, cassés par l’usage de produits toxiques utilisés dans la fabrication des habits, pour les rendre toujours plus attractifs, toujours moins chers et, afin qu’on ait besoin de les remplacer plus vite, toujours plus fragiles.
Accidents du travail, cancers, maladies respiratoires, fausses couches se multiplient. L’environnement, lui aussi, est décimé. Corps et milieux de vie de ceux qui produisent les vêtements et, en bout de chaine, de ceux qui les portent : partout, dans les chairs, les mers, les rivières s’accumulent métaux lourds et perturbateurs endocriniens. Dans les décharges également, car la surproduction, le renouvellement constant et les bas prix qui caractérisent la fast fashion ont donné naissance à une culture du débarras tout à fait inédite. Chaque année, des dizaines de milliards de tonnes d’habits sont jetées. Seuls 10 à 15% sont recyclées. Là encore, cependant, les conséquences sont désastreuses. Exportés vers des pays du « Sud » où ils ont vendus à prix cassés, les rebuts de la fast fashion déciment les industries du textile locales. Certains gouvernements s’insurgent là-contre, tentant d’interdire, ou du moins d’endiguer, ce commerce florissant. Et se trouvent en conséquence confrontés à des guerres commerciales. C’est le cas du Rwanda, que les États-Unis ont menacé de sanctions en mars 2018 s’il persistait à imposer une taxe sur les vêtements usagés. En attendant, l’industrie du textile s’accroit. Seule celle du pétrole pollue plus. Moteur du néolibéralisme sauvage, le système de la fast fashion est l’incarnation d’un capitalisme si violemment nombriliste qu’on peine à en dire l’horreur.
C’est de cela, de cette violence, que Lamyne M propose de nous parler ce soir : à travers une performance, d’abord, centrée sur le labeur de la fast fashion, puis via une discussion autour de certains de ses travaux